mercredi 13 juillet 2011

De L'autofinancement du RDPC


De L'autofinancement du RDPC 
 
exposé présenté par Innocent claude Mbarga
conférence conjointe des sous-sections OJRDPC, OFRDPC,RDPC DU Mfoundi VI à la Colombe

sur le thème
le militant du RDPC et les défis qui l'interpellent.



PRÉLIMINAIRES
Chers invités,
Chers sympathisants,
Chers camarades militants,
En ce jour laborieux de la conférence conjointe des Sous-sections OJRDPC, OFRDPC et RDPC je vous dis mon salut militant.
         Avant de passer aux articulations clé de mon propos portant sur l’autofinancement du parti, je voudrais vous proposer, chers camarades, de regarder avec émerveillement les coïncidences de ce jour très particulier. En rapprochant le thème général de cette conférence conjointe et la devise de notre illustre parti des « flammes », je constate avec satisfaction que l’ « unité » rime avec «conjointe » et « progrès » ; avec « autofinancement » et « démocratie » et « décentralisation ». 
         Mon exposé s’inscrit dans la perspective du progrès envisagé non comme une nouveauté, une mode effervescente, mais nettement comme un devoir de réactualisation, de motivation et de mise en pratique d’une théorie longtemps élaborée depuis 1985 et souvent révisée au cours des années récentes. En ce sens nous restons dans une logique prescriptive (mon précédent orateur l’aura souligné) qui nous invite à nous approprier les informations nécessaires qui explicitent la question de l’autofinancement au sein du Parti, afin d’en garantir une visualisation claire du progrès. Pour reprendre les propos du camarade Secrétaire Général du Comité central René Emmanuel SADI,
         « toutes les appréhensions et préoccupations doivent être levées car,                  il s’agira désormais qu’ensemble, nous traduisions dans les faits la               modernité que S.E. Paul BIYA prescrit pour notre parti… »[1]
         C’est dire que parmi les nombreuses interpellations de l’heure, l’autofinancement du RDPC nous préoccupe en tant que postulat de départ pour les défis à venir.
         Mon propos va se focaliser sur quatre axes prioritaires :
- L’approche définitionnelle de l’autofinancement ;
- Les ressources financières du Parti ;
- La gestion des fonds générés par le Parti ;
- La responsabilité militante dans l’autofinancement pratique.

1.ÉLÉMENTS DÉFINITIONNELS
         L’autofinancement est la capacité d’un organisme – ou d’une organisation – à se prendre en charge, à générer lui-même ses ressources financières. C’est donc à la fois une option opératoire et une politique de responsabilisation qui oblige à grande échelle les membres de l’organisation à se soumettre à la rigueur du concept.
         Au sein du RDPC, l’autofinancement peut se comprendre à deux niveaux.
         Au niveau supérieur du Parti, elle est la prédisposition et la décision du Parti à se prendre en charge grâce à des fonds qu’il produit dans ses différentes chaînes et ramifications. L’autofinancement signifie donc, ici, pour les militants, que la résolution de nos problèmes dépend exclusivement des fonds que nous générons et accumulons pour le financement global des activités du Parti. Dans ces conditions, en l’absence de notre participation active dans le financement du Parti, sa stabilité se déséquilibre, sa morale échoue, à défaut d’être déviée, de la base au sommet, et inversement.
         Au niveau de la base, l’autofinancement se conçoit – il doit se percevoir de la même façon – comme la capacité des Organes de base à générer et à gérer les enveloppes financières dues à l’application des articles 29 et 30 du titre IV des Testes de base du Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais[2]  (on y reviendra tout à l’heure).
         En clair, que ce soit au niveau supérieur des politiques générales du Parti ou au niveau particulier inférieur des Organes de base, l’autofinancement du RDPC exige, pour nous chers camarades militants et sympathisants, une connaissance parfaite et approfondie des dispositions financières du Parti qui implique celle des ressources et de la gestion des fonds du Parti.

2. LES RESSOURCES FINANCIÈRES DU PARTI
         L’illusion populaire a voulu, par observation et par habitude, que le financement du Parti relevât ni plus ni moins de la compétence de l’élite du Parti. Cette idée s’est répandue et s’est maintenue plus ou moins consciemment par application approximative de l’article 76 du règlement intérieur du RDPC astreignant certaines personnalités membres du Parti à des cotisations annuelles fixées par le Comité Central. Pourtant, à la vérité, les ressources financières du Parti sont établies tout autrement et impliquent la participation de chaque militant, c’est-à-dire celle de tous les militants.
         En principe, depuis la première publication des Textes de base du Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais en 1985, le titre IV su Statut dans son article 33 relève six (06) sources de revenus :
         « Les ressources du Parti et ses organisations annexes proviennent :
1) Des droits d’adhésion,
2) Des cotisations,
3) Des contributions de toutes sortes versées par les membres du Parti ou de ses organisations annexes,
4) Des souscriptions, dons, et legs, et revenus locatifs des biens du Parti,
5) Des produits des œuvres artistiques et des manifestations organisées par le Parti,
6) Des produits de vente des travaux et publications du Parti[3].
         Une attention particulière doit se porter aujourd’hui sur les deus ressources urgentes et nécessaires que sont les droits d’adhésion et les cotisations du Parti. Individuellement et sincèrement, interrogeons-nous : depuis combien de temps avons-nous cessé de payer nos droits d’adhésion et de verser nos cotisations ? Le jeune militant d’aujourd’hui, surtout, peut-il dire avec exactitude les taux d’adhésion et de cotisation de sa chapelle politique ?
         Il y a là un problème dont les contours historiques de notre nation peuvent fournir des éléments de réponse. En fait la crise économique à obliger les militants de base à la déresponsabilisation en responsabilisant à tort l’élite du Parti. La conséquence immédiate a été que le militant de base s’est résolu à un attentisme décevant contre nature, recevant avec complaisance ses cartes d’adhésion et de cotisation sous la souscription souveraine du supérieur engagé à la conquête d’un titre, d’un statut personnel ou d’un leadership quelconque. A peine le militant de base prenait-il le soin de lire les informations figurant sur la carte qui lui était destinée en lui conférant le droit unique et circonstanciel de choisir son dirigeant instantané.
         Chers camarades militants, quand j’ai commencé à militer vers les années 1998, sans avoir lu aucun texte du Parti mais dans une famille active dans le RDPC, je me souviens que sur les cartes d’adhésion figurait (cela figure encore aujourd’hui) un cachet mentionnant 200 f.cfa. Quant aux cartes de cotisations, elles variaient entre 100 f.cfa et 300 f.cfa.
         Par un simple calcul, chaque militant en fonction de son Organe devrait donc savoir exactement quelle contribution il doit apporter annuellement qu Parti en attendant que le Comité central nous soumette à de nouveaux taux d’adhésions et de cotisation.[4]
         Nous devons savoir que la question des personnalités au sein du Parti ne devrait pas ombrager nos devoirs militants. Même si l’élite du Parti a une part active à prendre dans nos activités et manifestations, sa position sociale ne devrait en aucun cas nous mettre sous son emprise économique. Dans le chapitre V du Règlement intérieur portant sur les Dispositions financières, l’alinéa 1 de l’Article 76 précise clairement afin de lever l’équivoque sur le rôle des uns et des autres :
 Sont astreints à une contribution mensuelle dont le montant et les modalités de payement sont fixés par le comité central les membres du Parti (suivants) : Sénateurs, Députés à l’Assemblée Nationale, Président ou membre du Conseil Économique et Social, membre du gouvernement et assimilé, gouverneur de région, chefs de mission diplomatique, consulaire ou économique, secrétaires généraux des ministères et assimilés, directeurs généraux et assimilés des sociétés publiques et parapubliques, Président ou membre des chambres consulaires, Délégués du gouvernement ou maires, membre du Comité Central… [5]


         Voilà chers camarades les ressources financières du Parti explicitement établies. Il n’est donc plus le moment de se donner la tête à une confusion opprobre entre le bien public et le bien du Parti ; si notre Parti est appelé, par des voies démocratiques, grâce à sa performance et son expérience, à gérer le bien public, il nous appartient d’abord d’utiliser à bon compte nos ressources financières. Comment y parvenir ?

3. DE LA GESTION DES RESSOURCES FINANCIÈRES DU PARTI
         Si la plupart des revenus du Parti peuvent être gérés directement au niveau de l’Organe bénéficiaire, le militant RDPC d’aujourd’hui doit savoir que, dans le Chapitre V du règlement intérieur, la gestion des droits d’adhésion a connu une évolution remarquable, un progrès satisfait pour les militants de base qui constituent le socle du Parti et bénéficient désormais de la plus grande proportion alors qu’il leur a toujours été réservé la plus petite. Cette évolution doit se comprendre avec les nouvelles exigences participatives dans le cadre efficace d’un « militantisme de proximité »[6].
Ainsi, « le produit des droits d’adhésion est intégralement reversé au Comité central »[7] tandis que « le produit des cotisations annuelles du Parti est reparti entre les organes selon les proportions suivantes »[8] (nous proposons ici un tableau comparatif qui visualise les modifications faites entre 1985 et 2008) :
Organes
Proportions prévues en 1985
Proportions prévues en 2008
cellule
5%
30%
Comité de base
10%
25%
Sous-section
20%
20%
Section
30%
15%
Comité central
35%
10%
Tableau comparatif de répartition du produit des cotisations annuelles du Parti
           
            Ce tableau montre bien que la politique d’implication des masses dans la gestion du Parti est une démarche irréversible qui, sur le plan financier, garantit la réussite de l’autofinancement. Reste à orienter le militant sur des voies responsables, capables de lui fournir des possibilités économiques stables. Autrement dit, il s’agit de projeter la
Modernisation du fonctionnement et (la) prise de toutes les mesures devant assurer non seulement la compétitivité du Parti, mais aussi celle de nos organes de base et de nos militants »[9]

4. DE LA RESPONSABILITÉ DU MILITANT DANS LA GÉNÉRATION ET LA GESTION DES RESSOURCES FINANCIÈRES DU PARTI
         En mettant en relief le fonctionnement du RDPC depuis les années 1985, un constat décevant est à faire : l’élite du Parti s’étant prononcée, pour des raisons mal fondées, garante des droits de cotisation et d’adhésion de la plupart des militants de base dont elles sollicitaient en permanence les suffrages, ces militants « de première heure » ont perdu le sens de tout engagement politique véritable. Du coup ils ont été transformés en observateurs manipulés, militant sans objectifs précis, sans programme, sans enjeu.
         Pourtant, le simple fait qu’un militant décide de son adhésion au Parti en y versant ses cotisations annuelles lui octroie un certain pouvoir de décision en lui donnant l’engouement dans toute activité qu’il entreprend. Se sentant sujet utile, il réalise qu’il participe à la vie du Parti et en assure l’animation comme dans une plate forme associative ou il a des devoirs et des droits. En ce sens, faire ses cotisations c’est se donner le droit de revendiquer au Parti l’application juste de ses idéologies fondamentales ainsi que la redistribution des fonds générés ; c’est en même temps s’assurer que la proportion due à son Organe est employée pour une cause collective non sélective afin que chaque militant en tire profit.
         La responsabilité, chers camarades militants, dans la gestion financière du Parti encourage les adhésions et se positionne comme un motif de séduction politique ; elle encourage aussi, si l’on se réfère à l’Article 29 (Nouveau de 2008), les initiatives artistiques, créatives et intellectuelles, collectives et individuelles, susceptibles de mettre les militants sous le statut heureux et honorable de producteur plutôt que celui de consommateur.
         Enfin, la responsabilité du militant à l’ère de l’autofinancement pratique interpelle a priori la jeunesse du Parti qui souffre à se voir souvent, sinon toujours, aux périphéries de l’action politique parce qu’elle manque d’arguments financiers. Chers Camarades, sachons que nous avons aussi notre part de responsabilité dans ce qui nous arrive. Qui a dit qu’on ne peut pas se passer des méthodes ridicules de ceux là qui nous considèrent comme leurs pions ? Notre engagement à verser nos cotisations témoignera de notre détermination à moderniser définitivement notre Parti car, à contribution proportionnellement égale, tous les militants, jeunes, femmes et hommes sont soumis à une égalité des chances dans la quête des responsabilités et du leadership.

CONCLUSION
         CHERS CAMARADES, la mise en pratique de l’autofinancement au sein du Parti est donc assurément un défi qui nous interpelle face aux exigences de la modernité. Nous devons nous départir des illusions entachées qui nous ont longtemps fait accroire que nous, militants de base, sommes spectateurs – on pourrait dire marionnettes – de l’élite qui joue de notre ignorance et de notre irresponsabilité pour jouer sa carte politique.
         L’autofinancement théorique appréhendé aujourd’hui comme une plate forme associative, active et interactive, suggère aux militants que nous sommes la voie pratique d’une société génératrice de ses moyens de fonctionnement dont il faut se mettre à la mesure responsable de gestion. Une gestion participative aussi, juste, responsable car, la concrétisation de l’autofinancement doit rendre lucide chaque militant qui saura désormais que le bien public n’est pas celui du Parti et que les deux ne sauraient se réduire à la propriété d’un individu ou d’un groupe d’individus ciblés.
         Notre Parti, chers camarades, en prêchant par le bon exemple, s’épargnerait certaines hontes inoubliables si tous et chacun avaient compris que l’autofinancement est une nécessité, une urgence de la modernité. Comme le soulignait le président national du Parti, je veux me convaincre avec vous que

Nous avons constaté qu’au milieu des épreuves nous avons posé les bases d’une nouvelle société politique, plus libre ; plus juste ; plus représentative, plus respectueuse des droits de l’homme…Enfin, nous avons engagé le Parti dans la voie de la modernisation et d’une meilleure symbiose avec le peuple par le militantisme de proximité »[10]







[1] Propos tenu lors de la Rencontre avec le Bureau National de l’OJRDPC, le 12 avril 2008 au Palis des Congrès de Yaoundé.
[2] Testes de base du Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais, 2008, p.33.
[3] Testes de base du Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais, 1985, pp. 18-20 ou Testes de base du Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais, 2008, Article 29, p.33
[4] A ce sujet lire Testes de base du Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais, 2008, Titre IV, Article 29, Alinéa 2, p.33
[5] Testes de base du Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais, 1985, Chapitre V, Article 81, p.102
[6] S.E. Paul BIYA, Discours d’ouverture du 2ème Congrès Extraordinaire du 7 juillet 2001 au Palais des Congrès de Yaoundé.
[7] Testes de base du Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais, 1985, Chapitre V, Article 79, p. 102
[8] Testes de base du Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais, 2008, Chapitre V, Article 71, p.91.
[9] René Emmanuel SADI, propos tenu lors de la Rencontre avec le Bureau National de l’OJRDPC, le 12 avril 2008 au Palais des Congrès de Yaoundé.
[10] S.E. Paul BIYA, Discours d’ouverture du 2ème Congrès Extraordinaire du 7 juillet 2001 au palais des Congrès de Yaoundé.

mardi 5 juillet 2011

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L'AVOCAT

C'est l'âge de l'enfant seul, sans père ni mère..., qui parle sur le dos de son frère sur le dos de son cousin tenant un coupe-coupe pour distraire la banane d'un inconnu qui ignore le destin de mille et un enfants.
Et je dis à la justice de fermer ses portes aux requérants qui ignorent ce qui pour des esprits lucides est un saint maraudage...
LE CŒUR PRÈS DU BALCON

Peignoir lin, air chagrin, teint brun des soleils châtains ; visage fin, je me tins, regard câlin, au balcon. Je contemplai, sans fin mais en vain, l'autre côté de la vallée ; certain de voir au lointain (défaut de chemin !) sans esprit lutin, mais sain (saint !) mon ange au petit matin entre la verdure des sapins...
TON ÈRE DE FAIM
Oui il n'y a pas de choix. Aussi reviendra-t-il sous l'arbre à chenille ramasser sa pitance du jour. J'avoue son crime mais puisqu'à longueur de journée son regard s'est promené et figé sur la cime des arbres sans surprendre la moindre proie, sa fronde s'est assoupie au désespoir de l'absence et dans sa poche des projectiles ont protesté leur chômage...


DETERRITORIALISATION ET DESINTEGRATION DES ITEMS PROPHETIQUES-BIBLIQUES DANS LA PROPHETIE DE JOAL DE S.-M. ENO BELINGA : LECTURE DU « SIXIEME CHANT »

ARTICLE
Innocent Claude MBARGA (doctorant ès lettres)
Université de Yaoundé I

DETERRITORIALISATION ET DESINTEGRATION DES ITEMS PROPHETIQUES-BIBLIQUES DANS LA PROPHETIE DE JOAL DE S.-M. ENO BELINGA : LECTURE DU « SIXIEME CHANT »

PRELUDE
« Mais comment, avec les seules ressources du langage, peut-on visualiser l'espace ? » Cette question que pose Christian JACOB1 peut nous permettre d'aborder plus facilement la préoccupation sur la « topicalisation » dans le discours littéraire. De fait, Le discours poétique, comme tout discours littéraire, du point de vue cosmographique affleure assez de difficultés pour s'insérer dans l'espace – et le temps – réel. C'est par là qu'il s'institue a priori comme un processus de virtualisation ou de « fictionalisation ». Inversement pourtant c'est la possibilité d'opérer une « réalisation » du virtuel discursif qui donne à la poésie son droit de cité. De telles considérations associées à la démarche géocritique proposée par Bertrand WESPHAL font que, à la lecture de La Prophétie de Joal, le « Sixième chant » apparaisse potentiellement productif quant à son dispositif intertextuel susceptible de révéler les rapports étroits et suffisamment discrets entre le destin étrange des « enfants de Joal » et celui d'Israël, « le peuple de Dieu ». Donc, avec une géographie réécrite, une histoire et un peuple repensés et un poète géologue-prophète, il n'est pas inutile d'interroger le sens profond de « cette Joal céleste » dont parle Max DIPPOLD en nous rappelant que « C'est le discours qui fonde l'espace... De toute évidence le référent commence à s'imposer à partir du moment où l'espace prend une coloration idéologique ».2

DE LA REFERENCIATION TOPIQUE DE JOAL

Dans La prophétie de Joal, la première difficulté à laquelle butte le lecteur est la topographie exacte de Joal. S'agit-il d'une Joal réelle ou imaginaire ? Ou alors les deux à la fois ? Dans les faits Joal réelle n'est pas une ville mythique ou imaginaire qui, Joal céleste dans la perspective discursive du « sixième chant » d'ENO BELINGA, ne saurait s'identifier à un ailleurs inconnu au-delà ou en-deçà de l'espace géographique et culturel terrestre. C'est ici que prennent effet le jeu et l'enjeu poétique : la reconstitution d'un référent non référencé concrètement sur le plan topique conduit au constat que le paisible espace balnéaire de Joal ne saurait se prévaloir du somptueux titre de « cité céleste ». De là, l'hypothèse du médium est plus évidente, d'autant plus qu'il s'agit d'un texte poétique, texte toujours à la trainée d'un déclic. Mais comment expliquer cette hypothèse du médium ?
Max DIPPOLD affirme qu' « en appliquant contre l'oreille le trophée de Joal, ENO BELINGA entendit le mugissement faible de l'Atlantique »3. Un rite qu'exécutent tous ceux qui ont fréquenté la Plage de Joal au Sénégal. A la différence que le poète lui se trouve dans son domicile à Yaoundé. Révélation ou vision, les deux termes impliquent des réactions similaires. Ils invitent le poète à révéler à la masse non initiée, impliquée ou non dans son « rêve poétique », son contenu prémonitoire. Et justement à ce niveau le poète devient prophète de son peuple. De quel peuple ?
La deuxième difficulté survient : l'on est toujours tenté de dire, à contre courant du poète, que « la prophétie de Joal (n')est pas une ». Cela à partir du moment où l'ambiguïté sémantique de Joal, dans le syntagme nominal du titre comme dans l'univers du poème, demeure productive à plusieurs niveau (on y reviendra à la fin de ce propos).
On comprend que la référenciation spatiale de Joal ne saurait se préciser par la simple désignation. Et même si volontairement mais sans conviction nous admettons que Joal est géographiquement localisable sur une carte du monde, l'identité et le destin des « enfants de Joal » peuvent-ils nous conforter dans une telle position ?

DU DESTIN A L'IDENTITE DE JOAL

Deux moments d'analyse peuvent nous permettre de reconstruire l'univers joalique d'E. BELINGA. Il s'agit de l'intertextualité biblique et du substrat socioculturel et historique.

Poétisation du dit biblique.

Le « sixième chant » s'ouvre sur le mode discursif de la prophétie : « Mais viendront des temps... » Par la suite tout le chant prend alors une coloration biblique dans laquelle transparaît avec une sobre évidence les passages de Mathieu 24 : 6-12 : « Vous entendrez parler de guerres et de nouvelles guerres...Nation se lèvera contre nation et royaume contre royaume, et il y aura des disettes et des tremblements de terre... alors on vous livrera à la tribulation... », etc., etc.
Ces phénomènes qu'annonce le Christ sont aussi ceux que le poète présage pour Joal (cf. V.5-18). Ainsi le destin de la celle-ci ressemble étrangement au destin du peuple d'Israël, peuple de Dieu. En ce sens le destin de Joal est une épreuve au sortir de laquelle – parodie et ironie biblique marquées par le passage inverse de la « Nouvelle Alliance » à l' « Ancienne Alliance » – sera jugé, non pas la descendance de Joal, mais à la fois les oppresseurs et tous les « enfants de Joal » qui « ont perdu la lumière des talents ». le chemin de l'exil se retrace, pour chaque enfant comme pour tous, matérialisant simultanément et/ou alternativement l'espoir et le désespoir d'un peuple en péril : l'Israël captive dans cette puissante Egypte que frappera de « dix plaies » (Exode 7-12) « le grand maître »(cf. V58-74).
La « maison de Joal » serait-elle alors la descendance d'Abraham, d'Isaac et de Jacob soumise régulièrement à l'épreuve de « La grande colère du maître tout puissant » ? Rien n'est moins sûr puisque le dit biblique s'enchevêtre au substrat socioculturel et historique des « enfants » de la Joal sénégalaise réelle, et peut-être au-delà.

Poétisation de la Joal

Domineront sur la maison
De Joal toutes nations étrangères venues de loin

Appliquée à la Joal réelle l'équation de l'identification reste sans solution si l'on ne s'en tient qu'à ces deux vers qui inaugurent le versant sociohistorique du « sixième chant ». La colonisation sénégalaise étant « une », c'est-à-dire exclusivement française, elle est loin de correspondre au flux des nations conquérantes dont parle le poète. On est ainsi amené à admettre une Joal plurielle dont la vraie Joal ne serait qu'une représentation réelle « fictionnalisée ».
Les thèmes proéminents de la colonisation et de l'esclavage sont des « critèmes » révélateurs du destin et de l'identité culturelle de la « maison de Joal » : le peuple africain. De ce point de vue il est question pour le poète de réaliser, au moyen d'un itinéraire synecdotique, la projection futuriste d'un passé africain déjà très évident dans les esprits et re-présenter « l'étrange destin » d'un peuple échangé « contre son gré et à prix d'argent », massé sur « le Sanctuaire de Gorée (sera) devenu dépôt d'esclave ».
Au-delà de cette fiction poétique de l'Histoire et conscient de sa mission, le poète maintient la tension prophétique du poème ; il truque le temps de l'Histoire par le temps verbal du discours. Au lieu que le présent, le passé composé, le passé simple et l'imparfait prennent en charge la relation des faits historiques, futurs simple et antérieur s'y installent. Et tout devient prospectif, prophétique. Sous le joug des futurs conquérants de La Prophétie de Joal, la descendance africaine du passé historique
Chantera si on lui dit de chanter en chœur
Dansez pour nous la danse de chez vous
Partant, sa vraie identité culturelle s'évanouit dans le vague de l'inaction, de l'inertie, de la souffrance, de la violence et de l'assujettissement (cf. V35-55).

EN GUISE DE CONCLUSION

Notre souci dans ce propos a été de montrer par une approche intertextuelle la porté géopoétique et sociopoétique du « sixième chant » de la Prophétie de Joal. La lecture géocritique et sociocritique nous a permis ici d'établir que, sur fond de synecdoque, la référencialité géographique de La Joal, rendue possible par la désignation, se fictionnalise en dernier ressort. Le transfert des éléments bibliques à l'Histoire et l'adaptation des évènements socioculturels au dit biblique entretiennent le va-et-vient fondamental entre poétisation et prophétisation, entre réalisation du fictionnel et fictionalisation du réel. On comprend comment le poète a su délocalisé « la terre promise », la Jérusalem terrestre, « la terre promise » vers Joal. Ainsi le peuple d'Israël n'étant plus pour lui que « la maison de Joal », la « Joal céleste » d'ENO BELINGA est une autre « Jérusalem céleste »,donc une Joal simplement imaginaire qui, en se topicalisant conceptuellement en Afrique délimite son aire culturel sans s'insérer dans aucune aire géographique. C'est par là que le poète peut s'inscrire dans le registre de la « négritude de combat », qu'il dépasse en effet. Représentant en tant que prophète et poète, « victime non innocente »4 dirait Louis-Marie ONGOUM il devient par son texte un Prométhée. Son mérite reste ce mythique courage de voler la patrie d'Israël afin de confondre son « grand maître ». Chacun à son devoir :

La prophétie de Joal est une et ne se démontre pas
Et ce n'est point Dieu que vous lésez si vous honorez
La cité de vos pères élevant jusques aux nues
Les talents du maître que vous avez reçus en héritage.

Et nul autre ne sera à sa hauteur, nul n'ira contre son devoir quand

L'homme fort l'homme puissant deviendra une étoupe
Son œuvre une étincelle tous deux brûleront
Ensemble sans que personne dans Joal ne Vienne éteindre.

mardi 28 juin 2011

CRISTALLISATION ET POTENTIEL DE L'EFFET DE VIE DANS « LA SCÈNE » DE JACQUES PRÉVERT.

Innocent Claude MBARGA
 Université de Yaoundé I : F.A.L.S.H. /ENSDrt / Élève PLEG
 CRISTALLISATION ET POTENTIEL DE L'EFFET DE VIE
 DANS « LA SCÈNE » DE JACQUES PRÉVERT. 
(Remerciement à tous les camarades qui ont contribué à la finalisation de ce travail.)  

  INTRODUCTION 
En montrant dans l'« effet d e vie » ou le singulier de  l'art littéraireiqu e la plurivalence et l'ouverture sont les traits caractéristiques de l' « effet de vie » qu'il définit comme « vie artificielle »iide l'œuvre, Marc Mathieu Münch démontre autrement que parmi les quatre  « invariants » de sa méthode, l' « effet de vie » subsume les trois autres invariants. Comment ? pour notre part, si la plurivalence désigne « l'ensemble des procédés littéraires capables de disperser la chose dite dans toutes les facultés de l'esprit »iii, elle peut bien intégrer en son sein le concret des mots et le jeu des mots en tant que manifestations formelles (perceptibles), quasi formelles et linguistiques de l' « effet de vie ». Quant à l'ouverture de l'œuvre, ne se confond-elle pas à l' « effet de vie » lui-même à partir de la cohérence de l'œuvre et dans la mesure où elle « à le pouvoir d'entraîner la collaboration particulière d'un esprit individuel » ?Ces reformulations théoriques faites, il convient de nous demander en quoi consisterait une analyse fondée sur la cristallisation et le potentiel de l' « effet de vie » dans La Cène de Prévert. Autrement dit : de quel potentiel un quintil – La Cène est un poème de cinq vers – peut-il répondre pour rendre visible un « effet de vie » total et satisfaisant chez le « lecteur-auditeur » d'aujourd'hui ? En réorganisant les traits caractéristiques de l' « effet de vie » en tant qu'invariant et les trois autres invariants de la méthode münchienne autour d'une lecture-réception intertextuelle, nous allons analyser le texte sur deux axes  (1° : Du jeu des mots au concret des mots ; 2° : Plurivalence, cohérence et ouverture) afin de montrer comment l' « effet de vie » qu'inaugure le titre du poème se cristallise dans tout le texte à travers un univers biblique et chrétien équivoque.
 I.DU JEU DES MOTS AU CONCRET DES MOTS 
Dans la théorie de Münch, « le mot descend de l'abstraction et sort de la platitude des images du dictionnaire pour entrer dans l'univers concret des êtres et des choses.»ivC'est dire au sens de Barthesvque le mot est au fondement des possibilités significatives de référenciation parce qu' « il dit [la] vie »vi, sa vie que le lecteur doit interpréter dans l'univers des possibles psychologiques et psychiques, lesquels il se partage avec l'écrivain ou le poète. Examinons d'abord le jeu des mots dans La Cène avant de parvenir à l'évaluation du concret des mots. 
I.1- La pertinence du jeu des mots
 Le rapport que l'on peut établir entre le titre du poème et son « contenu » ou « signifié » s'interprète facilement sous l'angle du jeu des mots en littérature. A considérer que « le mot n'est mot que parce qu'il est en usage »vii, on s'aperçoit à l'évidence qu'entre le titre et son développement le poète instaure un « jeu avec les mots pour créer des formes »viiisignifiantes, c'est-à-dire des unités de signification recevables et interprétables par la plupart des sens. En fait, dans La Cène, un jeu homophonique prévaut qui trompe l'ouïe et sème ainsi un certain doute dans l'esprit du « lecteur-auditeur ». Auditivement La Cène fait place à une « scène » quelconque, obligeant la psyché à se fier plutôt à l'ouïe qu'à la vue. En outre, en maintenant l'ambiguïté sémantique favorisée par le jeu homophonique, le jeu des mots inaugural occasionne un autre jeu corollaire qui lui est soumis. Il s'agit de l'isotopie du repas. Celle-ci prend source sur l'expression « être à table » (au premier vers) qui sous-entend, sur le plan sémique, un couvert et des convives. Mais contre toute attente cette isotopie prend fin dans le vers suivant. À peine commencée, elle cesse d'être matérielle pour se fondre dans une immatérialité (au troisième vers), renvoyant désormais à l'état d'esprit. Provisoirement. Puisque dans les deux derniers vers la matérialité refait surface en déviant le cadre sémantique des deux premiers vers pour s'affirmer par une acception technique du terme « assiette ».On peut donc dire que l'isotopie du repas n'est qu'un pré-texte technique et esthétique, un tremplin qui, parce qu'il est préliminaire, joue davantage sur le champ sémantique de « assiette », lequel se déploie clairement à trois niveaux. Dans les deux premiers vers, même si le terme « assiette » est absent, il n'est d'aucun doute qu'un repas que l'on prend « à table » nécessite l'usage des « assiette(s) » (« Pièces de vaisselle [individuelle ?] dans laquelle on mangeix ») ; dans le troisième vers, l'expression idiomatique « être dans son assiette » connait un emploi sous modalité négative pour signifier ne pas « être dans son état, son équilibre normal physique ou moralx » ; dans les quatrième et cinquième vers, « l'assiette » « toute droite/ Verticalement derrière leur tête » met en relief le sens technique de « support, élément qui maintient un corps dans une position donnéexi »Delà, vouloir rétablir l'identité, singulière ou plurielle, de ceux qui « sont à table », ceux qui « ne sont pas dans leur assiette » et ceux dont l' « assiette se tient toute droite/ Verticalement derrière leur tête » oblige qu'on parvienne à une référenciation du pronom personnel « ils », et à donc un examen du concret des mots.
I.2- la question du concret des mots 
La question référentielle du « ils » dans La Cène est étroitement liée à la notion du concret des mots. Sa nature l'en prédispose puisque, sur la grille des catégories grammaticales, « ils » est un pronom personnel masculin pluriel. Comme tel, il fonctionne anaphoriquement ou nominalement. C'est le second usage qui prévaut ici et qui occulte la possibilité de référenciation. Du coup, on se rend compte que le poète joue de nouveau avec les mots car l'indétermination du « ils » laisse une grande ouverture d'interprétation au lecteur à l'intérieur des multiples possibilités qu'offre le mot in extenso. A vouloir comprendre ce « ils » par rapport au titre du poème, on peut soutenir qu'il désigne Jésus Christ et ses disciples ; à le rapprocher de la « scène » que suggère l'ambiguïté homophonique, on s'accordera qu'il désigne des sujets quelconques ; à conditionner son interprétation par la « scène » et La Cène, on avancera vers une généralisation qui à bien des égards interpellera le christianisme et la chrétienté.En réalité, toutes ces hypothèses deviennent pertinentes à partir du moment où, tout compte fait, il s'affirme que le dispositif lexical à référenciation matérielle dominant est de loin bien moins important que celui immatériel qui concentre la symbolique du texte. Dans ces conditions, le sens des mots n'est plus productif que par ses possibilités à motiver l'œuvre, à l'animer grâces aux « sens » et à la référenciation quasi concrète des mots. Cela semble ce que soutient Riffaterre à propos du « message poétique »: « un poème nous dit une chose et en signifie une autrexii». 
II. PLURIVALENCE, COHERENCE ET OUVERTURE DU TEXTE
 Nous sommes obligés de rappeler ceci : dans ce travail, notre position est que le jeu des mots et le concret des mots en tant qu'invariants de l'art et corollaires de l' « effet de vie » ont partie liée avec la plurivalence qui n'est qu'un trait caractéristique de cet « effet de vie » englobant, parce qu'il est un « ensemble des procédés littéraires ». Aussi vient-il qu'en posant une relation de contigüité et de linéarité entre Plurivalence, cohérence et ouverture dans La Cène, nous nous interrogeons comme Antoine Compagnon : « Que fait le lecteur quand il lit ? Et que lui fait le texte ? La lecture est-elle active ou passive ? xiii» Pour les besoins d'analyse, nous considérons que la plurivalence, la cohérence et l'ouverture d'un texte ressortissent à une lecture à la fois active et passive – en quoi et comment ? C'est ce qu'on va tenter de montrer.
I.1 De la plurivalence 
A partir du titre, nous avons montré plus haut comment le choix des mots maintient l'incertitude dans l'esprit du « lecteur-auditeur » quant à la [sεnә] dont il est question. Pourtant a priori, on sait que le titre nomme effectivement le(s) repas pris par Christ et ses disciples. Si sur le plan de l'écriture la synecdoque ouvre le texte à travers le terme « table », « table » réfère bien à l'acte du repas désigné dans la périphrase « être à table », c'est-à-dire dîner, manger, etc. du point de vue sensoriel, tandis que les yeux observent une table, la psyché éveille le goût et l'odorat parce qu'il est bien question d'un repas.De cet ambiance synecdochique dériveront l'antanaclase sur le mot « assiette » – il a été établi que le glissement sémantique opéré à trois nivaux participe du potentiel cognitif relatif au jeu des mots. Reste à préciser que ces glissements sémantiques se bipolarisent en donnés matériel et immatériel, suscitant ainsi la présence ou l'absence du sens du toucher – et l'anaphore sur le pronom personnel nominal « ils » (indéterminé textuellement).En somme, puisqu' « en littérature, le langage du sens s'enrichit d'un langage des sens qui habilement réalisé, crée un effet de dispersion dans psychéxiv », il découle que – la plurivalence l'autorisant – l'incohérence des deux derniers vers (« Et leur assiette se tient droite / Verticalement derrière leur tête ») appelle une lecture allégorique, c'est-à-dire symbolique, capable de rendre au poème sa « cohérence » en l'ouvrant au « lecteur-auditeur ».
II.2- De la cohérence à l'ouverture
Pour Münch, la cohérence est « la force qui rassemble les éléments d'une œuvre dans une structure calculée pour que leur union et leur unité soient clairement repérables [...] allant du tout à chaque élément, de chaque élément au tout et d'un élément à un autrexv.» Concrètement, les suggestions faites par les éléments linguistiques du texte – lesquels cessent d'être linguistiques selon Münch en littérature pour appartenir à la « vie de l'esprit »xvi- nous entrainent dans deux univers d'interprétation : la cène chrétienne et la « scène » quelconque.De toute évidence, notre psyché est plus interpelée par La Cène dans la mesure où celle-ci éveille chez le lecteur des souvenirs bibliques. Et si effectivement La Cène « peut réussir en effet de vie un peu profonde »xvii, ce n'est qu'à travers « la collaboration particulière » entre sa structure globale et l'univers mentale du lecteur ; c'est-à-dire à travers les réminiscences qui se redéployent dans le texte, lesquels interpellent toujours le lecteur, lesquels le lecteur redécouvre ici à partir du champ lexical du repas. On peut lire dans l'Evangile de Luc : « Finalement, quand l'heure arriva, il s'étendit sur la table, les apôtres avec lui ... Il prit le pain, [rendit grâce], le rompit et le leur donna en disant : ''ceci représente mon corps qui va être donné pour vous...xviii »A mi-parcours on s'accorde donc sur ce que le poète redit l'Evangile par la pratique intertextuelle. Observation provisoire car contrairement à ce que nous apprend les textes des Evangélistes, dans La Cène de Prévert nous assistons à une [sεnә] des plus étranges : « ils ne mangent pas ». Le troisième vers du poème peut certes apporter une justification de principe à cet état de chose (« Ils ne sont dans leur assiette ») mais il ne nous amène guère à minimiser la prégnance de l'univers biblique qui règne à demeure dans le texte et convoque potentiellement « Les Saintes Ecritures ». Lisons maintenant l'épître de Paul aux Corinthiens : « Quand donc vous vous réunissez dans un même lieu, il n'est pas possible de manger le repas du Seigneur. En effet, lorsque vous le mangez, chacun prend d'abord son repas ... vous avez bien des maisons pour manger.»xixEn réalité une tension permanente se crée entre le titre suggestif du poème et le deuxième vers qui légitime l'idée d'un repas, repas sans menu puisque celui-ci – Christ – n-est pas comestible au sens propres du mot. Justement, en ce qui est de la chair et du sang, la doctrine chrétienne radicale en interdit l'usage et la consommation depuis les écrits génésiaques. Le lecteur chrétien le sait : « Seulement la chair avec son âme – son sang – vous ne devez pas la mangez.»xxCe tissu intertextuel qui montre qu'un hypertexte préside à la mise en forme de l'hypotexte que constitue La Cène montre en même temps les failles et les contradictions de la religion chrétienne. Le paradoxe de l'écriture prévertienne de La Cène se justifie ainsi par le paradoxe des contradictions chrétiennes pour le moins incernables en contexte profane. Que peut-on bien manger sur une « table » aux assiettes vides ? Il semble en effet que le poète voit dans la religion chrétienne une « assiette » vide qui n'a rien à offrir à l'humanité sinon la fantaisie d'une existence, du moins l'héroïsme précaire d'un groupe d'individu ayant à sa tête un héros décevant comme le Christ.L'acception technique du mot « assiette » exploitée dans les deux derniers vers exploités plus haut propose d'une certaine manière l'explication secondaire du troisième vers dont les analyses viennent d'être faites. Toutefois, on peut aller plus loin en spéculant que le déséquilibre moral et physique qui ressortit à l'immatérialité imposée par la locution verbale « ne pas être dans son assiette » fait resurgir les traces des écrits bibliques. Comment s'interdire d'envisager que cette perturbation de la conscience soit in fine celle qu'éprouvèrent le promoteur de la « Nouvelle Alliance » et ses disciples à l'approche de sa mise à mort ? Même si la chronologie des faits tels que rapportés par les évangiles ne précise pas le genre de mort dont il sera question – y a-t-il une mort qui ne fasse peur ? -, on s'accordera néanmoins à dire que le poète de La Cène joue avec ses connaissances bibliques pour rétablir « habilement » que le corps du Christ qui aurait dû être servi dans une « assiette » (au sens de pièce de vaisselle) est plutôt servi sur une assiette (au sens technique de support et donc de croix ou potence). Visiblement, l'idée de la potence ébranle ainsi le héros de la « Nouvelle Alliance » et ses compagnons ; elle les fait ne plus être « dans leur assiette ». Convoquons encore L'Evangile de Luc pour prouver que la crainte domine le cénacle et le Christ: « Père si tu veux, écarte cette coupe [de douleur] de moi [Jésus] ... Alors un ange du ciel lui apparut et le fortifia. Mais étant pris d'angoisse, il continua à prier de façon ardente »xxiAvant de finir cette analyse, revenons un tant soit peu sur le repas mis en cause ici : pourquoi donc l' « assiette » est vide ? Pourquoi « ils [le cénacle du Christ] ne mangent pas » ? C'est que ce repas n'est et n'est que symbolique dans l'idéologie chrétienne. Il ne s'agit pas d'un repas matériel mais d'une communion spirituelle entourée de mystère. Le Pape Paul VI explique : « Nous croyons que le pain et le vin consacrés par le Seigneur lors de la dernière cène sont devenus son corps et son sang qui devaient être offerts pour nous sur la croix »xxiiL'univers allégorique et symbolique occupe ainsi une place considérable dans La Cène parce que la Cène elle-même n'est que représentation et symbole. Les commentateurs de la Bible soulignent dans ouvrage théologique fort érudit qu' « on devait donc penser qu'il fallait manger sa chair et boire son sang dans un sens figuré en exerçant la foi dans la valeur de son sacrifice humain parfait .»xxiiiSi dans cette concentration rigoureuse des fondamentaux du christianisme Christ est le support-assiette, vider ce « support », lui refuser un contenu n'est rien d'autre qu'évacuer la vérité essentielle de la religion chrétienne à travers ses propres contradictions et ses antagonismes. Donc, parce que « le christianisme, élément de cet ordre dominant, ne peut qu'assumer une fonction idéologique et sociale»xxiv, Prévert s'en sert également pour bâtir son idéologie : l'antichristianisme. C'est à ce niveau que la polysémie du terme « tête » va jouer pleinement pour marquer le soutien que la première communauté chrétienne a apporté au Christ pendant son ministère et sa passion en tant que « tête », c'est-à-dire « Personne qui conçoit et dirige (comme le cerveau fait agir le corps) »xxv. Or l'attitude immobile que suggère ce «  toute droite / verticalement », laisse planer dans l'univers textuel l'ombre d'un refus. Ce refus se confirme dans le deuxième vers lu maintenant dans une autre perspective. Là, toute la symbolique de la Cène se totalise – en confirmant les propos du Pape Paul VI – et s'oriente vers la « consommation » de la doctrine chrétienne ; mais une doctrine qui ne fait pas l'unanimité des chrétiens et se heurte à bien de refus. Avant cette remise en cause poétique du christianisme dans La Cène, le protestantisme ne suffit-il pas pour établir que l'édifice chrétien est mal fondé et mal soutenu ?
CONCLUSION
Au sortir de cette analyse, sommes-nous en droit de nous accorder avec Münch sur ce qu' « en dehors de l'effet de vie, elle [la lecture] ne doit rien vouloir. Si elle se fixe sur un projet précis de repérage d'une forme, d'un thème, d'une thèse, voire d'une vérité, elle prend le risque d'empêcher le miracle de la vie artificiellexxvi » ? Evidemment. Puisque les analyses faites autour du jeu des mots et du concret des mots ont révélé « une forme » du texte qui se prédispose ludiquement à se mettre potentiellement au service de la cristallisation d' « un thème » (le christianisme) et par conséquent d' « une thèse » (l'antichristianisme). Autant dire que la mise en évidence de l'effet de vie et ses corollaires – auxquels nous avons associé indéfectiblement ses traits caractéristiques – a bénéficié de l'apport du champ sémantique de « tête » et d' « assiette », du champs lexical de repas et de trois figures de style importantes (la synecdoque, l'anaphore et l'antanaclase). Précisons que ce dispositif essentiel s'appuie exclusivement sur le jeu homophonique de départ avant d'ajouter que l'effet de vie probant qui irradie La Cène se cristallise en « une vérité » : les contradictions et les antagonismes chrétiens. Après lecture, on résumerait donc la « thèse » du poète ainsi : plutôt qu'une idéologie à promouvoir, le christianisme est une doctrine à rejeter. Mais le texte n'est pas aussi péremptoire que cela. Il faut nuancer et le texte nuance : pour les adeptes du christianisme, le ministère chrétien est à continuer ; pour les antichrétiens, comme le poète, il est question de se libérer de celui-ci. En cela Prévert « prend le risque d'empêcher le miracle de la vie artificielle », il évite l'utopiexxviiqui s'oppose à l'effet de vie. C'est dans ce sens que nous pouvons du moins comprendre les propos de Mukendi Nkonko : « Le christianisme apparaît comme une force sociale [peu] susceptible de contribuer à la libération des peuples.xxviii 
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NOTES
i Marc Mathieu Münch, l'« effet de vie » ou le singulier de l'art littéraire, Paris, Champion,
ii M. M. Münch, Op. cit., p.35. mais l'adjectif « artificielle » doit se comprendre au sens le plus mélioratif.
iii Ibid. p.164.
ivM. M. Münch, Op. cit. p.47.
v Dans le Degré zéro de l'écriture, Paris, Ed. du Seuil, 1972, pp. 37-38, Roland Barthes affirme que
vi M. M. Münch, Op. cit. p.47
vii M. M. Münch, Op. cit. p.36.
viii Id.
ix Alain Rey et Alii., Le Grand Robert de la langue française, 2001 édition numérique.
x Id.
xi Id.
xii Michael Riffaterre, Sémiotique de la poésie, Paris, Ed. du Seuil, 1983, p.11.
xiii Antoine Compagnon, Le Démon de la théorie, Paris, Seuil, 1998, p.49
xiv M. M. Münch, Op. cit. p.172
xv M. M. Münch, Op. cit. p.259.
xvi Ibid., p. 59. Münch affirme que « lorsque le texte entre dans la psyché, il n'est plus linguistique »
xvii M. M. Münch, Op. cit. p.36.
xviii Les Saintes Ecritures. Traduction du Monde Nouveau, 1995, Luc 22 : 14,19, P.1307. toutes les références bibliques qui vont suivre sont tirées de cette version.
xix 1 Corinthiens 11 : 20, 22, p.1422.
xx Genèse 9 : 4, p.16.
xxi Luc 22 : 42, 44.
xxii Passage tiré de Official Catholic Teachings, Christ Our Lord, Wilmington, Amanda watlington, 1978, P.11.
xxiii Comment Raisonner à partir des Ecritures, NewYork.Watchtower Bible and Tract Society of NewYork,1986,p.247.
xxiv Mukendi Nkonko, Le christianisme en Afrique : Genèse et fonctions sociales, in Peuples noirs/Peuples africains, n°47, 8èmeannée, Septembre-octobre 1985, p.22.
xxv Le Grand Robert de la langue française, op. cit.
xxvi M. M. Münch, Op. cit. p.108.
xxvii Depuis les premières recherches de Paul Ricœur, l'utopie fait l'objet de plusieurs recherches en littérature.
xxviii Mukendi Nkonko, Op. cit. p.23.